Publié le 9 décembre 2022 | par Jean-Pierre Durand

On pouvait croire le débat du “N1 fiscal” définitivement enterré depuis que le législateur avait déclaré unilatéralement les SUV N1 à plus d’une rangée de sièges « destinés au transport de voyageurs” et les pick-up 5 places “de tourisme”. Mais l’application du règlement européen UE 2018-858 et le fonctionnement du nouveau SIV révèlent des trous dans la raquette qui, devant un malus allant jusqu’à 50000€, peuvent apparaitre comme autant d’aubaines !

En France, la fiscalité automobile épargne largement les “utilitaires” (réputés besogneux) mais elle se rattrape très généreusement sur les autres véhicules (réputés oisifs)… que le législateur catalogue sans plus d’états d’âme : « de tourisme”! En revanche, la classification issue de la réception européenne, établie sur des critères essentiellement techniques et sans considérations fiscales directes, se montre plus “souple” que notre classification nationale. D’où des ambiguïtés qui réapparaissent à chaque évolution des normes européennes : on l’avait vu en 2009 avec la transposition de la  directive 2007/46/CE dans le droit français, on le revoit à nouveau avec l’application du règlement UE 2018/858. Avant d’aller plus loin, il convient pour ceux qui auraient raté (ou oublié) l’épisode 2009/2010 du “N1 fiscal’ et ses rebondissements sporadiques, de rappeler ce qu’est un véhicule N1.

1/ Le comment et le pourquoi du N1 ?

Dans l’Union Européenne, lors de leur réception, les véhicules sont homologués dans diverses catégories définies aujourd’hui par l’article 4 du règlement UE 2018-858 dont l’annexe I définit ensuite le type de carrosserie. Ce règlement UE 2018-858 a abrogé et remplacé la directive 2007/46/CE dans le cadre d’une vaste réforme “post-dieselgate“ qui a substitué la procédure de test WLTP à la procédure NEDC alors que parallèlement s’installait – très laborieusement – le nouveau SIV (système d’identification des véhicules). La complexité de ce SIV avait d’ailleurs entrainé en France, des reports successifs du passage au WLTP jusqu’au 1er mars 2020.

Essentiellement passagers ou essentiellement marchandises

Dans la classification de l’article 4 du règlement UE 2018-858 on distingue entre autres catégories :

– La catégorie M : les véhicules à moteur conçus et construits essentiellement pour le transport de passagers et de leurs bagages (et qui dans la sous-catégorie M1 peuvent compter jusqu’à 8 places assises en plus du conducteur).

– La catégorie N : les véhicules à moteur, conçus et construits essentiellement pour le transport de marchandises. Elle même subdivisée en sous-catégories : N1 jusqu’à 3,5 tonnes de masse maximale, N2 jusqu’à 12 tonnes, et N3 au-delà.

Pick-up (BE) ou camion (BA) et camionnette (BB)

Viennent ensuite, à l’annexe 1, une classification selon les carrosseries. Par exemple, pour la catégorie N on peut trouver des camions, des camionnettes, des unités de traction pour semi-remorque, des tracteurs routiers, des camions pick-up, des châssis-cabine ou châssis-capot. Ces véhicules se désignent symboliquement par deux lettres (que l’on retrouve mentionnées à la case J2 de nos cartes grises). Pour le problème qui nous intéresse ici, nous évoquerons notamment :

– le camion (BA) : Un véhicule conçu et construit exclusivement ou principalement pour transporter des marchandises. Il peut également tracter une remorque.

– la camionnette (BB) : Un camion dont le compartiment du conducteur et la zone de car­gaison se trouvent dans une seule et même unité.

– le camion pick-up (BE) : Un véhicule dont la masse maximale n’excède pas 3 500 kg et dans lequel les places assises et la zone de cargaison ne se trouvent pas dans un seul et même compartiment.

La réception est européenne… le règlement aussi

Si ces classements européens distinguent les catégories de véhicules de manière limpide, elles tolèrent néanmoins un relatif choix tactique des constructeurs, dès lors que les prescriptions techniques et les normes de sécurité – spécifiques à l’homologation demandée – sont satisfaites.

Ainsi un “camion pick-up” (BE) est nécessairement N1 puisqu’il n’excède pas 3,5 tonnes, mais son constructeur peut demander la réception d’un véhicule similaire en carrosserie “camion” (BA), dès lors que le véhicule  répond aux exigences « camion”.

Autre exemple de subtilité réglementaire : un SUV cinq places pourra être – banalement – homologué M1 (véhicule à moteur conçu et construit essentiellement pour le transport de passagers et de leurs bagages) mais il pourra aussi, être homologué N1 Camionnette (BB) et bien que réputé conçu et construit essentiellement pour le transport de marchandises, néanmoins disposer de cinq places assises et jusqu’à sept (conducteur + 6) dès lors qu’il répond favorablement à certaines prescriptions du genre.

P – (M + N × 68) ≥ N × 68

Dans cette éventualité d’une homologation N1 Camionnette BB avec 5 places sont notamment requis une longueur minimale de la zone de cargaison (d’au moins 30% de l’empattement), des dispositifs d’arrimage de cette cargaison (conformes à la norme ISO 27956), une porte ou un hayon de dimensions suffisantes (80cm de hauteur  et 12800cm2 d’ouverture) pour accéder aisément au chargement. Enfin il faut aussi que la part de charge utile disponible pour la cargaison reste toujours majoritaire en regard du poids potentiel des passagers.

Pour répondre à ce dernier point, il faut que P – (M + N × 68) ≥ N × 68. Dans cette formule absconse, P est la masse maximale autorisée en charge, N  le nombre de places assises pour des passagers (réputés peser arbitrairement 68kg) et M la masse en ordre de marche (avec conducteur). Pour cinq places (quatre places assises hors conducteur) les passagers sont supposés peser : 68kg x 4, soit 272 kg. Il faut alors que le solde de charge utile disponible pour la cargaison demeure égal ou supérieur à 272kg et donc que la charge utile totale atteigne 544kg ou plus.

A l’insu du plein gré du client

Dans le détail, les critères de réception sont beaucoup plus complexes,  à lui seul le règlement UE 2018-858 s’étale sur 218 pages dont 153 pages pour les seules annexes… sans compter les références aux directives et règlements européens antérieurs et aux règlements de l’ONU.

Mais, sauf curiosité intellectuelle, le client n’a pas à se soucier de savoir “pourquoi” tel véhicule est homologué N1, M1, BA, BB, ou BE ou “comment” il y est parvenu. La réception européenne par type s’effectue préalablement à la commercialisation du véhicule, entre le constructeur et l’organisme officiellement habilité (UTAC, TUV ou similaires) et totalement “à l’insu du plein gré” du futur client qui n’est en rien responsable. Personne ne saurait lui faire grief d’avoir acheté un véhicule homologué N1 plutôt que M1… pour en déterminer une quelconque intention fiscale. En revanche, il peut s’avérer pertinent de se soucier de la catégorie dans lequel le véhicule a été réceptionné en regard de la fiscalité à laquelle il sera soumis en France…

2/ Quand un règlement remplace une directive

On se souvient qu’en 2009/2010 suite à la transcription de directive 2007/46/CE dans le droit français, plusieurs constructeurs avaient usé de l’homologation N1 et que de nombreuses entreprises avaient cru pouvoir s’affranchir en toute bonne foi du malus, de la TVS et du plafond d’amortissement en acquérant des  SUV, breaks et monospaces, tous homologués “N1 à usages multiples”. Mais elles avaient été rattrapées par la patrouille quand la loi de finances pour 2011 avait déclaré ces véhicules “de tourisme au sens du 1010 du CGI” les replaçant illico (pour la TVS et l’amortissement) dans le champ de la fiscalité ordinaire. Le législateur pourrait-il malmener à nouveau l’harmonisation européenne ? La 2007/46/CE n’était qu’une “directive” c’est-à-dire un acte normatif qui définit des objectifs à atteindre par les pays membres, mais leur laisse un délai de transposition dans leur droit national et une certaine liberté de forme. En revanche, un règlement, en l’occurrence ce 2018-858, s’applique totalement et directement. En substance que tel ou tel pays membre, aime ou n’aime pas un règlement, il ne devrait rien pouvoir laisser sur le trottoir de l’assiette,…et tout digérer !

Ne pas oublier… l’essentiel(lement) !

On pourrait donc s’étonner que le Code de la Route dans son article 311-1 (y compris dans sa récente version en vigueur depuis le 16 janvier 2022) énonce au 2.1. : “Véhicule de catégorie N1 : véhicule conçu et construit pour le transport de marchandises ayant un poids maximal inférieur ou égal à 3,5 tonnes” en oubliant après “conçu et construit” l’adverbe “essentiellement”  qui figure dans la définition de l’article 4 du règlement 2018-858.

Faut-il rappeler que ce règlement « relatif à la surveillance du marché” considère au point (9) de son préambule que : « les autorités nationales devraient mettre en œuvre et faire appliquer les prescriptions du présent règlement d’une manière uniforme dans toute l’Union afin de garantir des conditions de concurrence équitables et d’éviter que des normes divergentes soient appliquées dans l’ensemble de l’Union”.

3/ Qu’en est-il fiscalement ?

Comme nos fidèles lecteurs le savent, depuis le 1er janvier 2022, la législation fiscale appliquée aux véhicules à moteur est passée du Code Général des Impôts (CGI articles 1007 à 1012 quater), au nouveau Code des Impositions sur les Biens et Services (CIBS articles 421-1 à 421-166).

Le nouvel article 421-2 du CIBS remplace donc le 1007 du CGI (abrogé) qui avait lui même remplacé le 1010 (également abrogé) du même code, pour définir les véhicules de tourisme en énonçant :

“Les véhicules de tourisme s’entendent des véhicules suivants :

1° Parmi les véhicules de la catégorie M1 :

a) Ceux qui ne sont pas des véhicules à usage spécial ;

b) Ceux qui sont accessibles en fauteuil roulant ;

2° Parmi les véhicules de la catégorie N1 :

a) Ceux dont la carrosserie est  » Camion pick-up  » et qui répondent aux conditions cumulatives suivantes :

– ils comportent au moins cinq places assises ;

– ils ne sont pas exclusivement affectés à l’exploitation des remontées mécaniques et des domaines skiables (…);

b) Ceux dont la carrosserie est  » Camionnette  » et qui répondent aux conditions cumulatives suivantes :

– ils comportent, ou sont susceptibles de comporter après une manipulation aisée, au moins deux rangs de places assises ;

– ils sont affectés au transport de personnes.”

Le N1 camion BA n’est pas de tourisme

Dans le 2° qui nous intéresse ici on note que les pick-up à cinq places sont toujours considérés “de tourisme” (sauf usage exclusif “station de ski”). A contrario ne sont donc pas de “tourisme” ceux qui comptent moins de cinq places assises… quatre par exemple. On remarque également que le 421-2 n’évoque que les N1 à carrosserie “camion pick-up” (BE) et camionnette (BB) mais pas la carrosserie “camion” (BA) quand bien même un tel camion disposerait de cinq places … et pourrait ressembler à un pick-up.

Pour le malus, la camionnette BB non plus

D’ailleurs si vous allez sur le site service-public (le site officiel de l’administration française) et si vous sollicitez le simulateur de coût de certificat d’immatriculation en considérant une première immatriculation de véhicule neuf N1, on vous demandera s’il s’agit d’un pick-up BE ? Or si c’est un BA ou un BB ce n’est pas un BE ! Dès lors même en cliquant que ce véhicule est N1 est bien “destiné au transport de voyageurs et de leurs bagages et de leurs biens”, le simulateur vous facturera 34€ de “majoration véhicule de transport”, mais il ne vous demandera pas le taux de CO2 et vous comptera 0€ de malus.  Alors qu’en cliquant “carrosserie pick-up BE”, le même simulateur calculera un malus pouvant aller jusqu’à à 50% du prix du véhicule avec un maximum en 2022 de 40000€ ou de 50000€ en 2023.

4/ Le BOFIP dit la doctrine

Quand on se méfie des conseilleurs (qui ne sont pas les payeurs) et des pirouettes sémantiques qui ne font pas (toujours) rire les polyvalents, on consulte prudemment le Bofip (Bulletin Officiel des Finances Publiques) afin d’approfondir la doctrine de l’administration fiscale (BOI-ENR-TIM-20-60-30 du 04/11/2020 dernier en date sur ce thème). Il y est fait référence non pas au 421-2 du CIBS mais au 1007 du CGI (en vigueur à la date de parution) mais on peut y lire trois remarques intéressantes (la première intégrait déjà le règlement UE 2018-858 et la troisième les limites du SIV) :

– 1 : Conformément au 1° de l’article 1007 du CGI, les définitions des catégories utilisées pour les besoins de la fiscalité sont, sauf précisions contraires, celles fixées par le droit européen (règlement UE 2018-858) …, et non celles figurant à larticle R. 311-1 du code de la route.

– 2 : Les définitions des catégories de véhicules retenues sont uniquement fondées sur les caractéristiques techniques des véhicules tels que constatées lors de leur immatriculation. L’affection effective du véhicule aux usages auxquels ces caractéristiques sont adaptées est indifférente pour l’application des taxes à l’immatriculation, sauf dans le cas particulier des “pick-up” de montagne.

– 3 : Sont également des véhicules de tourisme certains véhicules de catégorie N1 de la carrosserie « camionnette » en fonction de l’existence de points d’attache pour les sièges et de l’utilisation effective pour le transport des personnes. Toutefois, ces deux critères n’étant pas reconnus par le système d’information des véhicules, il est admis, pour les seuls besoins des taxes à l’immatriculation, que ces véhicules ne sont pas des véhicules de tourisme.

Pour les seuls besoins des taxes à l’immatriculation

Dont acte pour le malus et considérant les tarifs totalement hors-sol des malus, c’est toujours ça de pris ! Toutefois il ne vous aura pas échappé que la BOFIF précise “ne sont pas des véhicules de tourisme… pour les seuls besoins des taxes à l’immatriculation” !

Pour les autres besoins fiscaux : taxes à l’utilisation, plafond d’amortissement, ou récupération de TVA, c’est un autre débat (voire plusieurs débats) et à la lecture du BOFIF il semble évident que ce ne soit pas non plus la même doctrine. Quelle peut-être la portée de “précisons contraires”, en regard d’un règlement européen, c’est loin d’être simple. Nous y tenterons d’y voir plus clair dans notre prochain dossier fiscal!

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