Kilomètres Entreprise : Depuis le début de l’année, l’État français encourage le développement du Super Éthanol (E85).
Pensez-vous poursuivre cette politique et plus généralement
développer d’autres technologies de remplacement des carburants
fossiles ? Lesquelles et comment ?
Ségolène Royal : Je suis naturellement favorable au développement
des agrocarburants, choix qui nécessite de très lourds investissements. C’est pourquoi j’entends privilégier, dans un premier temps, à côté de l’expérimentation des agrocarburants de deuxième génération (les ligno-cellulosiques ayant un meilleur bilan environnemental) l’augmentation de la part d’éthanol et de diester dans l’essence et le gazole, qui peut être opérée, jusqu’à un certain seuil, sans modifier les moteurs ni les stations-service.
Le développement des carburants alternatifs devra d’abord s’accompagner d’une action sur une motorisation nouvelle et plus économe en énergie. Je souhaite que nous ayons également avec les constructeurs un véritable programme pour des véhicules plus
légers, tout en étant plus sûrs. L’amélioration des normes de pollution est en effet systématiquement plus que compensée par un alourdissement des véhicules avec une consommation
et une pollution unitaires qui régressent peu ou pas du tout.
KME : Ces dernières années, la fiscalité des entreprises s’est beaucoup alourdie par le biais, entre autres, de la Taxe sur les
Véhicules de Société. Que prévoyez-vous dans ce domaine ?
S.R. : La France est en retard sur beaucoup de ses voisins européens en matière d’économies d’énergie, et de mise en oeuvre du principe pollueur payeur. Je proposerai donc la mise en place d’une politique vigoureuse de rattrapage dans ce domaine dans laquelle la taxe sur les véhicules de société a toute sa place. Je proposerai une modulation de la taxe pour favoriser l’achat de véhicules plus propres.
Dans le même temps, je mettrai en place des incitations pour le « verdissement » des parcs incitant à l’achat de véhicules plus propres.
KME : En Angleterre et en Allemagne, on favorise les véhicules d’entreprises. Leurs parcs automobiles sont plus jeunes et donc à la fois relativement moins polluants et plus sûrs. Ces modèles vous inspirent-ils ?
S.R. : Je l’ai dit précédemment, tout choix visant au renouvellement d’un parc à véhicules plus propres doit être
privilégié. En revanche, j’encouragerai fortement le recours au covoiturage et la mise en place de plans de déplacement d’entreprise, favorisée par le développement de l’offre alternative
(transports collectifs et circulations douces).
KME : En signant le pacte écologique, vous avez manifesté votre intérêt pour les péages urbains comme ceux de Londres.
S.R. : J’ai indiqué vouloir débattre de cette question avec les Français avant d’arrêter une décision. J’observe qu’à Londres et à
Stockholm, ce péage a produit des résultats spectaculaires sur la densité du trafic. Au niveau de l’environnement, le système est donc efficace, mais c’est aussi une façon d’acheter un « droit à polluer » qui favorise les catégories aisées et établit une discrimination entre habitants des banlieues et ceux des centres-ville.
KME : Vous avez proposé une taxe à la tonne transportée par
route, comme cela se fait en Suisse. Les ressources ainsi collectées
devraient financer le fret ferroviaire. Pouvez-vous développer
cette idée ? Plus largement, quelles sont vos propositions
concernant l’aménagement du territoire en termes de
transports de marchandises et des personnes ?
S.R. : Je souhaite en effet faire sortir la France du « tout routier », en matière de transport de marchandise. Pour cela, il faut mener une politique volontariste en faveur du ferroutage en augmentant fortement les crédits qui y sont consacrés, rétablir une concurrence équitable entre les modes de transport et faire émerger la vérité des coûts du transport de marchandises par camion (par exemple, par une «éco-redevance », intégrant les coûts indirects des transports : dégradation des routes, impact sur la santé et l’environnement, sécurité…).
Il faut mettre les instruments existants – fiscalité, aides publiques,
règlementations – en cohérence avec l’application du principe
pollueur-payeur. Cette politique doit être menée au niveau européen pour éviter les risques de concurrence déloyale entre entreprises, par une politique ambitieuse des transports dotée des moyens nécessaires.
Plus largement, je souhaite lutter contre l’étalement urbain par
la recherche d’une densité raisonnée, sur le modèle du schéma
directeur de la région Ile-de-France qui prévoit désormais un lien fort entre urbanisation, développement économique et transports en commun (notamment de banlieue à banlieue). A l’écoute des
Français, je sais, comme le démontrent les études, que ceux qui
partent loin du centre-ville pour des raisons économiques dépensent souvent beaucoup plus en frais de transports qu’en logement : il faut donc inverser cette spirale infernale qui augmente les charges qui pèsent de plus en plus sur les ménages les plus modestes.
KME : En France, les progrès en terme de sécurité routière sont attribués à la seule politique répressive. Pensez-vous qu’il faille
faire évoluer cette politique au vu des meilleurs résultats obtenus
par nos voisins européens (Allemagne, Autriche, Italie) avec une approche radicalement différente de la nôtre ?
S.R. : Tout d’abord, on ne peut que se féliciter de la baisse du
nombre de décès sur la route depuis cinq ans. Il ne me semble pas
opportun d’assouplir la législation sur le permis à points : celles et
ceux qui ont la responsabilité du transport de personnes doivent être respectueux de la règle qui s’impose à tous. Comme sur tous les sujets, je serai attentive à ce que les expériences conduites dans les autres pays européens soient examinées et que, sans remettre en cause nos objectifs, nous puissions faire évoluer nos politiques pour les rendre plus efficaces.
KME : Parmi les recommandations du Pacte Ecologique, on
trouve une nouvelle baisse des limitations de vitesse et un bridage
des moteurs. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une mesure destinée à
sensibiliser les esprits ou d’une mesure de bon sens ?
S.R. : L’évolution des comportements en termes de respect des
vitesses et des distances de sécurité n’est pas assez rapide. C’est
donc là que doit porter l’effort : n’oublions pas que la vitesse est la
seconde cause de mortalité sur les routes. C’est aussi une source
importante d’émissions de gaz à effet de serre que nous devons
réduire pour lutter contre le réchauffement climatique. La question
d’une baisse de la vitesse autorisée sur les autoroutes et les voies
rapides ou d’un bridage des moteurs fera l’objet d’un grand débat
public.
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